La pollution lumineuseFil d'Ariane : Accueil >> La pollution lumineuse Permalien : http://www.nuitfrance.fr/?page=pollution-lumineuse Quelques tags associés : [ POLLUTION LUMINEUSE, LUMIÈRE, ÉCLAIRAGE, BRUIT, POLLUTION SONORE, DÉSÉQUILIBRE, MENACES, ARTIFICIALISATION ] > Le phénomène de pollution lumineuseHomo sapiens, espèce diurne et ingénieuseL’espèce humaine est diurne. En effet, nous ne possédons pas d’adaptation particulière pour vivre la nuit. Le sens que nous sollicitons le plus, pour la plupart d’entre nous, est la vue, avec un besoin fort de lumière pour accéder à une vision confortable. Notre ouïe n’est pas non plus prodigieuse (excepté sans doute à l’âge bébé où certaines fréquences utilisées par les chauves-souris peuvent être audibles par l’humain mais nos capacités auditives diminuent rapidement avec la croissance). Homo sapiens est cependant doué d’une grande imagination et d’une capacité très importante à créer. Par la maitrise du feu d’abord puis surtout de l’électricité ensuite, l’homme a ainsi réussi à créer des sources d’éclairage artificiel la nuit, pour y vivre peu ou prou comme le jour. Au final, l’homme n’a pas appris à vivre la nuit, il a transformé la nuit en jour. La pollution lumineuse : une pollution liée au tempsLes capacités intellectuelles et créatives d'Homo sapiens sont une vraie chance. Néanmoins, elles demandent à être réfléchies et maîtrisées. Ici, compte tenu de l’alternance naturelle de jour et de nuit, et de ce qu’elle dépasse de très loin la seule condition humaine, le fait d’introduire de la lumière artificielle à un moment où il n’y a naturellement pas ou très peu de lumière, la nuit, n’est pas neutre. Le seuil à partir duquel cet ajout de lumière artificielle a des conséquences de types nuisance ou pollution est variable selon la cible étudiée (humain, animaux, plantes, ...). Néanmoins, dans tous les cas, dès lors que cette luminosité artificielle dépasse la luminosité naturelle, cet acte est une source de déséquilibre pour le système « originel ». Ce sujet est donc précisément lié à la notion de temps, car le moment où cette lumière artificielle est émise, provoque ou non un déséquilibre. De façon caricaturale, une émission de lumière artificielle le jour n’aura pas de conséquence par rapport au cycle naturel de la lumière (elle peut en avoir d’un point de vue économique par contre). Au-delà de cette dichotomie franche jour/nuit, une émission de lumière artificielle au moment du crépuscule ou bien au cœur de la nuit, une nuit de pleine Lune ou bien une nuit sans Lune, aura des effets distincts. Un phénomène connexe à l’urbanisationLa pollution lumineuse est une problématique connexe à l’urbanisation et à l’artificialisation en général. La lumière émise par les humains est en effet la plupart du temps associée à ses infrastructures, compte tenu de l’utilité de cette lumière (du moins de celle qu’elle doit avoir initialement, c’est-à-dire pour nos activités au sens large) et de sa dépendance aussi à un acheminement en électricité. Parmi les sources d’éclairage artificiel on peut citer les habitations, les commerces (parkings, vitrines, enseignes, publicités diverses), les bureaux, le parc d’éclairage public des routes et architectures (terrains de sport, monuments, ...). On compte également des émissions plus ponctuelles dans le temps, liées aux manifestations événementielles (illuminations, lasers, ...). « Je gagnai les Champs-Elysées où les cafés-concerts semblaient des foyers d’incendie dans les feuillages. Les marronniers frottés de lumière jaune avaient l’air peints, un air d’arbres phosphorescents. », Guy De Maupassant (Clair de lune, 1889) ![]() Éclairage de rue. Photo : V. Vignon Du fait de cette diversité des sources de lumière, la problématique concerne à la fois les grandes villes, où la lumière artificielle est souvent omniprésente la nuit, les villes moyennes et petites ainsi que les villages et les bourgs. ![]() Dans une ville comme Paris, l’éclairage la nuit est omniprésent (rues, ponts, évènementiels, monuments,...). Photo : R. Sordello En contexte rural et dans les communes peu peuplées, les bâtis et sites rupestres (ponts, falaises, clochers, ...) sont souvent mis en valeur par la lumière alors que dans le même temps, ils sont recherchés par la faune nocturne cavicole et cavernicole (chouettes, hiboux, chiroptères, ...) parce qu’ils constituent pour elle des habitats de substitution. ![]() Mise en valeur d’un monument sur un mont en contexte de milieux non urbanisés (Var). Photo : R. Sordello Une pollution qui diffuseSi l’emplacement des sources de lumière est connexe à l’urbanisation, l’impact de ces points lumineux peut par contre affecter des zones inhabitées. La lumière est en effet caractérisée par une dualité corpuscule/onde. Elle est certes un ensemble de grains de lumière, les photons*, mais elle montre aussi un comportement ondulatoire. La lumière est donc une perturbation qui se déplace de proche en proche depuis la source d’émission, comme le son (qui, lui, n’est qu’une onde : il n’existe pas de grains de son). Du fait de ce comportement ondulatoire, l’impact de la lumière artificielle va bien au-delà de sa source d’émission. ![]() Perception d’une lumière émise à plusieurs kilomètres alors que l’observateur se trouve dans une zone sans aucun point lumineux. Photo : R. Sordello Cette diffusion ayant lieu dans les trois dimensions de l’espace, la lumière artificielle se dirige également vers l’atmosphère où elle s'associe aux particules en suspension. Ce phénomène est responsable de la formation d’un halo rougeâtre au-dessus des grandes zones urbaines, bien visible de loin. ![]() Halo lumineux au-dessus du milieu urbanisé, provoqué par l'association des particules de lumière à celle en suspension dans l'atmosphère. Photo : P. Gourdain > État des lieux et intensité
Le phénomène de la pollution lumineuse est mondial. Il est par ailleurs à la fois : - intense : selon une étude, 85% du territoire de l’Union Européenne, 62% du territoire des États-Unis (Hawaï et Alaska exclues) et 19% des terres émergées à l’échelle du globe étaient affectées en 1996-1997 par la pollution lumineuse, - en croissance : de nos jours, ces chiffres ne cessent de progresser avec une croissance annuelle estimée à 10% pour les pays européens. En France, l'Agence de l'Environnement et de la Maitrise de l'Energie (ADEME) recense environ 11 millions de points lumineux publics. Ce chiffre était évalué à environ 9 millions il y a quelques années. Google earth possède désormais une couche « lumières des villes de la Terre » dans les options de Galerie, qui permet ainsi un aperçu de l’éclairage artificiel à la surface du globe. La NASA met également à disposition des images satellitaires de la Terre vue de nuit, montrant ainsi l'étendue et la densité des éclairages nocturnes sur la planète. Lien : http://visibleearth.nasa.gov/view.php?id=55167 ![]() Planisphère nocturne - Data courtesy Marc Imhoff of NASA GSFC and Christopher Elvidge of NOAA NGDC. Image by Craig Mayhew and Robert Simmon, NASA GSFC. La connexité de la pollution lumineuse à l’urbanisation est très palpable. On constate en effet que les grandes métropoles telles que, en Europe, Paris, Madrid ou Londres, très fournies en éclairages artificiels, se détachent très fortement. Certaines zones de pollution très forte mais plus dispersée ressortent aussi, comme la Belgique ou le nord de l’Italie. Enfin, l’installation des humains sur le littoral et le long des cours d’eau se voit ici très nettement avec par exemple le delta du Nil ou dans une moindre mesure le couloir rhodanien en France. > Les enjeux
La pollution lumineuse est un sujet éminemment transversal. Elle soulève en effet entre autres : - des enjeux en termes de biodiversité car la lumière artificielle a des conséquences, la plupart du temps négatives, sur la faune et la flore et dans tous les cas remanie les équilibres écosystémiques, - des enjeux économiques (consommation des éngeries, préservation des ressources naturelles, coût de la facture énergétique, rejet de CO2 et changement climatique, services rendus par la biodiversité nocturne, ...), - des enjeux de préservation de la visibilité du ciel étoilé (observations, recherche, ...), - des enjeux de santé humaine (qualité du sommeil, stress, ...), - des enjeux culturels et sociétaux (préservation de la nuit comme patrimoine). > Effets de la lumière artificielle sur la biodiversitéMalgré l’étendue des conséquences, on peut tenter de les trier selon leur échelle temporelle et spatiale. Effets immédiats et locauxCompte tenu des adaptations que le vivant a développées lui permettant de voir la nuit à très faible intensité lumineuse, la lumière artificielle est en premier lieu une source d’éblouissement pour ces espèces nocturnes dites « nyctalopes* ». Leurs yeux ne sont en effet pas adaptés à recevoir des intensités fortes de lumière et encore moins directe. Les éblouissements causés peuvent engendrer des pertes de repères momentanées voire une vision irréversiblement altérée, qui favorisent la mortalité directe des individus ou a minima les pénalisent dans leur activité. Les Chouettes effraies par exemple, se retrouvant glacées par la lumière des phares des véhicules sur les routes qu’elles tentent de traverser, entrent très fréquemment en collision avec les voitures et c’est la première cause de mortalité de cette espèce en France. La lumière des éclairages artificiels perturbe également les comportements des espèces qui utilisent la lumière comme un moyen de communication ou de repère. Notamment, les oiseaux migrateurs, qui n’ont plus accès au ciel étoilé du fait du halo lumineux, perdent une bonne partie de ce qui les guide pendant leur migration. Ils peuvent également être attirés par des leurres tels que les tours éclairées ou les phares maritimes. Egalement, les insectes, qui se repèrent avec la Lune, se retrouvent irrésistiblement attirés par la lumière, notamment celle des lampadaires qui sont pour eux comme des leurres. Enfin, en termes de communication, on peut citer l’exemple des lucioles : les signaux lumineux qu’elles s’envoient pour échanger entre partenaires, perdent de fait tout leur message dans un environnement éclairé. ![]() Insectes piégés dans la lumière d'un projecteur de stade. Photo : V. Vignon La lumière est enfin un synchronisateur biologique et elle règle l’équilibre veille/sommeil des animaux. La pollution lumineuse est alors une source de déphasage qui peut amener entre autres à une suractivité, une reproduction altérée ou des déplacements provoqués. Effets à long terme et à grande échelle spatialeA une échelle plus large, la lumière modifie les aires de répartition et les équilibres écosystémiques. Par anticipation de tous les effets directs provoqués par la lumière (éblouissements, ...), un certain nombre d’espèces nocturnes fuient tout simplement la lumière artificielle ; elles sont dites lucifuges. C’est le cas par exemple des chauves-souris de la famille des Rhinolophes. Pour ces espèces, le noir de la nuit est un critère de la bonne qualité de leur milieu naturel, au même titre que tel type de végétation ou telle ressource alimentaire. Leur aire de répartition, potentielle ou réelle, va alors se dégrader voire se réduire, sous l’effet de la pollution lumineuse, comme ce que l’on constaterait pour une espèce forestière dans une forêt que l’on déforeste ou pour une espèce amphibie dans une zone humide que l’on assèche. En se rappelant l’effet à distance d’un point lumineux, on comprend que la réduction des milieux naturels favorables peut être rapidement vaste avec peu de luminaires. Pour les espèces qui ne fuient pas radicalement la lumière, et qui vont donc persister peu ou prou dans des écosystèmes éclairés, les équilibres seront néanmoins remis en cause. La lumière modifie par exemple les rapports proies/prédateurs. Les proies seront en effet plus visibles par les prédateurs nocturnes en zones éclairées. C'est ainsi que certaines espèces vont réduire leur activité pour limiter leur risque de prédation. Certains prédateurs vont également bénéficier du pouvoir attractif de la lumière sur leurs proies, celles-ci se retrouvant donc concentrées dans les zones lumineuses. L’exemple le plus parlant est le cas des chauves-souris, telle que la Pipistrelle commune, pour qui la lumière n’est pas repoussante (ou du moins elle la tolère) et qui s’en retrouve donc même favorisée car elle les insectes qu'elle consomme sont concentrés sous les lampadaires. A contrario, pour ces insectes, la lumière artificielle nocturne constitue alors un piège écologique*. En effet, les milieux naturels environnants se retrouvent vidés avec une concentration des effectifs dans les zones éclairées où ils sont attirés. Sous les lampadaires, s'ils ne sont pas consommés par les prédateurs, ils se retrouvent la plupart du temps grillés par la chaleur du luminaire ou écrasés sur les pare-brises des véhicules ou bien ils meurent par épuisement. Certains animaux diurnes aussi tirent profit de la lumière artificielle car ils voient leur période d’activité se prolonger sur la nuit, comme le Faucon pèlerin par exemple qui chasse les pigeons à la lumière des lampadaires. ![]() Chauve-souris tirant profit de la présence du lampadaire qui concentre ses proies attirées par la lumière. Photo : R. Sordello Enfin, on peut également parler de l’effet fragmentant de la lumière. Du fait que la lumière se déplace, l’accumulation des points lumineux et de leur rayonnement est ainsi à même de créer une infrastructure de lumière qui fragmente l’espace nocturne. On constate alors un mitage du noir par cette fragmentation* « immatérielle » qui s’ajoute à la fragmentation physique (routes, urbanisation, ...). ![]() Infrastructure lumineuse qui fragmente le noir de la nuit. Photo : R. Sordello Au final, on peut sans doute dire que la lumière agit comme un filtre sur la biodiversité, qui favorise les espèces généralistes et opportunistes et pénalisent les espèces spécialistes et sensibles. Cette conséquence n’est pas propre à la lumière, elle est constatée dans tous les processus d’artificialisation des milieux naturels, mais la lumière ajoute donc une couche supplémentaire. Chez la floreEn lien avec le rôle régulateur de la lumière chez les végétaux, la pollution lumineuse est une source directe de perturbation du cycle de vie des plantes : germination, croissance, floraison peuvent être altérées. Le fait de prolonger l’activité photosynthétique* des végétaux en les éclairant artificiellement la nuit provoque aussi un déséquilibre dans leur activité. Enfin, l’éclairage artificiel a également des effets indirects sur la flore via la pollinisation. La flore, herbacée et buissonnante notamment, est en effet très dépendante des insectes pour sa pollinisation. Par conséquent, si ceux-ci se retrouvent impactés, en ricochet la flore le sera aussi car la pollinisation sera empêchée. Le Lierre et le Liseron des haies ouvrent leurs fleurs au crépuscule quand les papillons de nuit sont actifs, le Chèvrefeuille a des fleurs morphologiquement adaptées aux noctuelles et au Sphinx, la Clématite dégage une odeur plus forte au crépuscule qui attire son pollinisateur. Une co-évolution* entre plantes et insectes a abouti à toutes ces adaptations réciproques que la lumière artificielle vient désormais entraver. Lacunes dans la connaissanceLe fait que la lumière artificielle influe sur la biodiversité est désormais bien documenté et un fait établi scientifiquement. La connaissance fondamentale reste néanmoins encore lacunaire sur de nombreux sujets. Les études sont relativement abondantes quant aux modifications de comportement ou de physiologie à l'échelle d'un ou quelques individus. A l'échelle d'une population, et a fortiori d'une espèce, le phénomène est beaucoup moins étudié. Il est difficile à l'heure actuelle de savoir dans quelle mesure une population peut disparaitre sous l'influence seule de la pollution lumineuse. La difficulté tient également au fait que cette pollution est connexe à l'urbanisation. La lumière artificielle est en général associée à un phénomène global d'artificialisation du milieu, qui rend donc compliqué la possibilité de ségréger les effets de chaque pression, dont ceux dus à la lumière. La recherche en est également à ses prémices concernant l'effet barrière de la lumière c'est-à-dire sa capacité à fragmenter les milieux naturels, selon le même principe que la fragmentation physique. Enfin, comme de manière générale dans la littérature relative à la conservation de la biodiversité, il existe un biais dans la représentativité des groupes biologiques étudiés, au sein même des vertébrés voire même au sein des oiseaux par exemple. Alors qu'il est possible de trouver des publications sur l'effet de la lumière sur le comportement migratoire des oiseaux, la littérature est quasi nulle concernant les impacts sur l'écologie des rapaces nocturnes. Parmi les invertébrés, certains compartiments du vivant sont également sous-étudiés vis-à-vis de la pollution lumineuse ; on peut à titre d'exemple citer les coléoptères pourtant en grande majorité nocturnes. Ces manques sont à rattacher au fait que les scientifiques menant des programmes sur la pollution lumineuse sont encore peu nombreux et la recherche dans ce domaine reste jeune. Les premières publications datent globalement des années 1970-1980, ce qui est récent comparativement à d'autres thèmes de recherche (par contre c'est la même ancienneté que l'on retrouve à l'écologie du paysage par exemple). Les années qui viennent devraient voir la connaissance croître assez rapidement, du fait de l'appropriation de cette problématique par les scientifiques eux-mêmes, appuyés par la prise de conscience des politiques et portés par un intérêt grandissant dans la société civile. > Conséquences de la pollution lumineuse en astronomie
Qu'il s'agisse des astronomes amateurs ou professionnels, la pollution lumineuse limite voire empêche l'observation du ciel étoilé. Dans une grande ville comme Paris, pas plus de 200 étoiles seraient visibles à l'oeil nu alors qu'un ciel étoilé non pollué peut permettre d'en observer environ 3000. > Impacts de la pollution lumineuse sur le sommeil et la santé
![]() Lumière intrusive. Photo : R. Sordello |
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