La nuit projetéeLes dimensions psychologique, sociale, culturelle de la nuit sont extrêmement riches. La nuit, moment de contemplation (de plus en plus rare) du ciel étoilé et moment des rêves, sollicite directement notre imaginaire. Éclairer la nuit c'est alors quelque part se couper de notre inconscient. Comprendre ce qu'est la nuit permet en effet de déchiffrer les mécanismes sous-jacents au phénomène de pollution lumineuse. Les humains de tous les continents, même si c’est à des degrés divers, émettent de la lumière artificielle la nuit et la pollution lumineuse est planétaire. D’une manière générale, on peut dire que ce phénomène relève ainsi de la déconnexion globale que les humains entreprennent progressivement vis-à-vis de la nature. Mais il reflète aussi de manière plus précise l’appréhension des concepts qui le sous-tendent, notamment la complémentarité jour/nuit et la cyclicité du temps. Fil d'Ariane : Accueil >> La nuit projetée >> Projections sur la faune nocturne Permalien : http://www.nuitfrance.fr/?page=culture-psycho-societe&partie=faune-nocturne
► Projections sur la faune nocturne« La Chouette, oiseau d'Athéna, symbolise la réflexion qui domine les ténèbres. », Victor Magnien (Les Mystères d'Éleusis. Leurs origines, le rituel de leurs initiations, 1950) La faune nocturne, parmi laquelle les chouettes et les chauves-souris, fait l'objet de multiples projections de la part des humains. La nuit étant le domaine de l'ombre, ces projections sont principalement négatives, ou du moins elles révèlent des facultés fascinantes pour l'Homme auxquelles il n'a pas accès. Ainsi, chez les chouettes, c'est en priorité leur capacité à voir la nuit, c'est-à-dire à discerner ce qui est caché pour nous, qui a focalisé ces projections. Cette clairvoyance a amené les civilisations à les considérer tantôt comme un symbole d'extralucidité et de sagesse (par exemple la Chouette Chevêche à qui le nom d'Athéna a été donné, Déesse de la Sagesse dans la mythologie grecque) et tantôt comme un signe de mauvais augure. Leur masque facial étonnant et leur faculté à voler en parfait silence ont sans doute accentué cette impression que ces oiseaux étaient des représentants d'un "autre monde", mystique, et éventuellement du Diable. Chez les Aztèques en effet, la Chouette est un animal symbolique du Dieu des enfers (de même que l'araignée). Le nom français de "Chouette Effraie" pour dénommer l'espèce Tyto alba - aussi appelée Dame blanche - en dit également long sur ce que cette chouette, qui arbore un coeur blanc sur la face et fréquente les clochers et les cimetières - inspirait aux anciens. Au Moyen-Âge, ces chouettes étaient fréquemment clouées sur les portes des granges. Ce genre de pratiques a fort heureusement disparu de nos jours mais, dans l'inconscient collectif, ces croyances sont probablement encore tenaces. Pour de nombreuses ethnies indo-américaines la Chouette est toujours aujourd'hui une divinité de la mort et gardienne des cimetières. Ce contexte rend alors d'autant plus frappant de constater que, paradoxalement, dans le langage français courant, le mot "chouette" est désormais utilisé pour qualifier quelque chose de plaisant et de "sympa" (ex : C'est chouette !). Chez les chauves-souris, la symbolique est beaucoup plus ambivalente selon les civilisations. En Extrême Orient, elles sont vénérées à travers le Dieu du Bonheur, Fou-sing, représenté sous les traits d'une chauve-souris. Elles représentent aussi pour ces peuples la longévité, parce qu'elles vivent dans les cavernes, qui sont considérées comme des lieux de passages vers le domaine des Immortels. En Afrique, certaines traditions leur associent l'image de la perspicacité, pour leur faculté à se repérer dans l'obscurité lorsque l'Homme est plongé dans la nuit. Mais, à l'instar des chouettes, cette capacité fait là-aussi des chauves-souris la figure de l'ennemi de la lumière, de l'extravagant qui fait tout à l'envers, comme lorsque celles-ci se pendent par les pieds. Dans nos sociétés occidentales, elles ont surtout été l'objet de ces représentations péjoratives. Les chauves-souris sont en effet associées aux ténèbres, aux forces obscures et souterraines et par conséquent aux démons. A ce titre, clouer les chauves-souris aux portes des maisons était une pratique ancienne comme pour les chouettes, afin de faire fuir les mauvais esprits. Dans le Tarot de Marseille, on peut noter que le Diable est pourvu d'ailes de chauves-souris. Dans la mythologie grecque, les Erynies (ou leurs équivalentes chez les Romains, les Furies), impitoyables vengeresses, sont figurées sous l'apparence de vieilles femmes avec des ailes voire une tête de chauves-souris. En occident, la réputation d'être des suceurs de sang leur colle aussi à la peau. Pourtant, à l'échelle mondiale, trois espèces seulement de chauves-souris, situées en Amérique tropicale, consomment du sang (espèces hématophages), qu'elles prélèvent quasiment exclusivement sur les animaux (bétail) et non sur les humains. En Europe, toutes les chauves-souris se nourrissent de petits arthropodes (insectes, araignées) et exceptionnellement pour certaines espèces de petits oiseaux (Grande noctule) ou de petits poissons (Murin de Daubenton, Murin de Capaccini). Si, à force de sensibilisation, les mentalités évoluent là-aussi, cette réputation de vampire s'attrapant dans les cheveux des femmes perdure malheureusement encore de nos jours. ![]() Petit rhinolophe. Photo : V. Vignon |
|||
|